La symbolique des couleurs dans l’art médiéval
- Ivy Cousin
- 24 févr.
- 41 min de lecture

Depuis l’Antiquité, la couleur a toujours été un langage à part entière, porteur de significations profondes et structurant l’expérience visuelle des civilisations. Mais c’est au Moyen Âge qu’elle atteint une complexité symbolique inégalée, devenant un véritable code visuel au service de la spiritualité, du pouvoir et de l’ordre social. Qu’il s’agisse des vitraux baignant les cathédrales de lumière sacrée, des enluminures guidant le regard du lecteur dans les manuscrits, ou des fresques ornant les murs des églises, chaque teinte joue un rôle précis, au-delà de sa simple beauté. Héritée des traditions antiques et enrichie par la pensée chrétienne, la symbolique des couleurs médiévales façonne un langage universel, où le bleu incarne le divin, le rouge oscille entre majesté et sacrifice, et le vert se teinte d’ambivalences morales. À travers cet article, nous explorerons l’origine, la perception et l’usage de ces couleurs dans l’art médiéval, en dévoilant leur signification profonde et leur impact durable sur l’esthétique occidentale.
Résumé
L’article explore la symbolique des couleurs dans les arts médiévaux, révélant comment chaque teinte, bien plus qu’un simple choix esthétique, répond à un langage visuel structuré et chargé de significations. Il montre que la couleur, héritée des traditions antiques et enrichie par la pensée chrétienne, joue un rôle fondamental dans l’organisation de l’espace visuel et la transmission des messages spirituels, politiques et sociaux.
L’analyse commence par l’origine et la perception des couleurs au Moyen Âge, où les théories antiques d’Aristote et de Pline l’Ancien influencent la classification chromatique médiévale. Saint Augustin et d’autres théologiens intègrent ces concepts dans une lecture chrétienne du monde, donnant naissance à une symbolique profondément ancrée dans la spiritualité. L’usage des couleurs dans l’art médiéval n’est pas qu’une question de perception sensorielle, mais une construction culturelle influencée par l’exégèse biblique et les matériaux disponibles.
L’article détaille ensuite la symbolique des couleurs majeures : le bleu, couleur céleste par excellence, est associé à la Vierge Marie et au divin ; le rouge oscille entre majesté royale et sacrifice christique ; le vert, ambivalent, symbolise à la fois la nature et l’instabilité morale ; le jaune, entre éclat et trahison, rappelle la figure de Judas ; le blanc représente la pureté et la sagesse, tandis que le noir incarne aussi bien l’humilité monastique que le deuil et la puissance. Chaque teinte possède ainsi une charge symbolique qui évolue au fil des siècles, façonnant un langage visuel propre au Moyen Âge.
L’application de ces couleurs dans les divers arts médiévaux est également mise en lumière. Dans les enluminures, elles guident la lecture des manuscrits et renforcent l’intelligibilité des textes sacrés. Dans l’architecture gothique, les vitraux transforment la lumière en un vecteur spirituel, notamment avec le célèbre "bleu de Chartres". Les fresques et les peintures murales, quant à elles, utilisent les contrastes colorés pour souligner les récits bibliques et structurer l’espace sacré. Les tapisseries et textiles révèlent, à travers la teinture et la composition chromatique, les hiérarchies sociales et les influences culturelles.
Enfin, l’article analyse l’évolution de la symbolique des couleurs à travers le temps. Le rouge, dominant au Haut Moyen Âge, cède progressivement la place au bleu comme couleur royale et mariale. L’introduction de nouveaux pigments grâce aux échanges commerciaux diversifie la palette artistique, tandis que l’essor de la peinture à l’huile et des théories optiques de la Renaissance modifie la perception des teintes. L’article conclut sur l’héritage médiéval dans l’art occidental, où certaines associations chromatiques persistent, témoignant de la profondeur de cet héritage symbolique.
1. Introduction
Depuis l’Antiquité, la couleur est un langage universel, chargé de significations et de connotations spécifiques selon les époques et les civilisations. Dans l’art médiéval, elle joue un rôle fondamental, à la fois esthétique et symbolique, structurant l’espace visuel et véhiculant des messages religieux, politiques et sociaux. Au-delà de sa simple perception sensorielle, la couleur médiévale est une construction culturelle, influencée par des traditions philosophiques, des exégèses bibliques et des considérations matérielles. Son usage dans les enluminures, les vitraux, les fresques ou les tissus ne relève pas du hasard, mais d’un système codifié, où chaque teinte s’inscrit dans un cadre sémantique précis.
L'Église, pilier de la pensée médiévale, impose une lecture théologique des couleurs, les reliant à des concepts spirituels précis. Le bleu devient ainsi l’incarnation du divin et de la Vierge, tandis que le rouge oscille entre majesté royale et passion du Christ. L’exégèse des textes sacrés joue un rôle central dans cette assignation symbolique, donnant naissance à un vocabulaire chromatique complexe, repris dans l’ensemble des productions artistiques de l’époque. Cette perception s’appuie également sur les théories antiques de la couleur, notamment celles d’Aristote et de Pline l’Ancien, qui influencent la manière dont les penseurs médiévaux structurent leur compréhension des teintes.
Le présent article se propose d’explorer en détail la place de la couleur dans l’art médiéval en examinant ses origines philosophiques et religieuses, la manière dont elle est perçue et codifiée, ainsi que les matériaux qui la rendent possible. Dans un second temps, il s’agira d’analyser la symbolique des couleurs majeures du Moyen Âge et leur application concrète dans les différents arts visuels. Enfin, nous étudierons comment ces codes évoluent à travers les siècles et influencent les pratiques artistiques de la Renaissance et de l’époque moderne.
2. Origine et perception des couleurs au Moyen Âge
La perception de la couleur dans le monde médiéval est le fruit d’une longue évolution intellectuelle et matérielle, héritée des penseurs antiques et transformée par la vision chrétienne du monde. Dès l’Antiquité, Aristote conçoit la couleur comme une interaction entre la lumière et l’ombre, une approche qui influencera durablement les philosophes médiévaux. Dans son De Coloribus, texte attribué à son école, il classe les couleurs selon un spectre allant du blanc (associé à la lumière) au noir (associé aux ténèbres), une classification qui sera reprise et adaptée par les savants chrétiens pour structurer leur propre vision du monde visible. Pline l’Ancien, dans son Histoire Naturelle, fournit quant à lui des descriptions précises sur l’origine des pigments, détaillant leur extraction et leur usage dans l’art antique, des informations précieuses qui guideront les artisans du Moyen Âge dans leur quête de matières premières adaptées à la production picturale.
Toutefois, c’est à travers le prisme religieux que la couleur acquiert sa pleine signification au Moyen Âge. Loin d’être perçue comme un simple phénomène physique, elle est investie d’une valeur spirituelle et morale, intégrée dans une lecture symbolique du monde. Saint Augustin, dans son De Genesi ad Litteram, associe certaines couleurs à des vertus chrétiennes fondamentales, un cadre d’interprétation qui influencera durablement la pensée médiévale. Ainsi, le blanc devient l’incarnation de la pureté divine, tandis que le rouge se charge d’une ambivalence marquée entre sacrifice christique et pouvoir terrestre. Ces considérations ne sont pas purement théoriques, elles se traduisent concrètement dans l’iconographie chrétienne, où chaque teinte est choisie en fonction de sa résonance théologique.
Le choix des couleurs dans l’art médiéval est également conditionné par les matériaux disponibles. Les pigments utilisés dans les enluminures et les fresques proviennent de sources minérales, végétales ou animales, dont la rareté et le coût influencent directement leur emploi. Le bleu, par exemple, tiré du lapis-lazuli, est si précieux qu’il est réservé aux représentations les plus sacrées, notamment celles de la Vierge Marie. À l’inverse, les pigments à base de terres naturelles, comme l’ocre rouge ou la terre verte, sont plus accessibles et fréquemment utilisés pour des éléments secondaires des compositions picturales. Les recettes de fabrication des couleurs sont consignées dans des manuscrits techniques, tels que le De diversis artibus de Théophile, où l’on découvre que la fabrication d’un rouge vermillon passe par une alchimie minutieuse de soufre et de mercure, un savoir-faire transmis de génération en génération.
Les contraintes techniques et matérielles, conjuguées aux impératifs religieux et philosophiques, façonnent donc la perception des couleurs au Moyen Âge. Elles ne sont pas simplement des éléments de décoration, mais des outils de communication visuelle, structurant l’espace et hiérarchisant les figures dans les œuvres d’art. Cette codification rigoureuse se retrouve dans les vitraux, où la lumière colorée devient un vecteur spirituel, projetant sur les fidèles une symbolique sacrée qui transcende la matière. De même, dans les enluminures des manuscrits, la couleur guide le regard et accentue la compréhension du texte, créant un dialogue constant entre l’image et l’écrit.
L’évolution de la perception des couleurs au Moyen Âge est donc le résultat d’un dialogue complexe entre héritage antique, exégèse chrétienne et contraintes matérielles. Cette structuration influence profondément la manière dont les artistes conçoivent et organisent leurs œuvres, donnant naissance à un langage chromatique subtil et nuancé, qui se transmettra jusqu’à la Renaissance et au-delà.
L’usage des couleurs dans l’art médiéval repose sur une combinaison complexe de traditions philosophiques, d’interprétations religieuses et de contraintes matérielles. Leur perception est façonnée par l’héritage antique, l’exégèse chrétienne et les pratiques techniques des ateliers d’artisans, formant ainsi un langage visuel structuré qui traverse l’ensemble des productions artistiques de l’époque. Mais au-delà de ces considérations pratiques et intellectuelles, chaque teinte possède une signification propre, enracinée dans les mentalités et la culture médiévale.
Cette symbolique chromatique, omniprésente dans les enluminures, les vitraux et les fresques, ne se limite pas à une simple fonction décorative. Elle participe activement à la narration des œuvres, guidant l’œil du spectateur et renforçant le message spirituel ou politique qu’elles véhiculent. Certaines couleurs acquièrent ainsi des connotations fixes et récurrentes, tandis que d’autres évoluent selon les contextes et les usages.
Il est donc essentiel d’examiner en détail la charge symbolique des principales couleurs du Moyen Âge. Du bleu céleste des manteaux de la Vierge au rouge sanglant des martyrs, du vert ambivalent des représentations du diable au jaune sulfureux de Judas, chaque nuance est investie d’une portée significative qui dépasse le simple effet esthétique. Ces choix chromatiques, dictés autant par la théologie que par les usages sociaux, structurent un langage visuel qui, bien que codifié, reste soumis à des variations et à des nuances subtiles.



3. Symbolique des principales couleurs dans l’art médiéval
L’art médiéval, imprégné de théologie et de traditions ancestrales, confère aux couleurs une signification profonde, oscillant entre le sacré et le profane. Chaque teinte, loin d’être un simple choix esthétique, porte en elle une charge symbolique qui évolue au fil des siècles. Dans l’iconographie chrétienne, les enluminures, les fresques et les vitraux s’inscrivent dans un langage visuel où le bleu divin côtoie le rouge du pouvoir et du sacrifice, tandis que le vert oscille entre la luxuriance de la nature et la perfidie du mal. Le jaune, lui, vacille entre la lumière et la trahison, alors que le blanc incarne pureté et sagesse, contrastant avec la profondeur funèbre du noir. Cette symbolique, codifiée et transmise par les théologiens, les enlumineurs et les peintres, s’ancre dans une lecture spirituelle du monde, où chaque couleur reflète un pan de l’ordre divin et terrestre.
Le bleu s’impose comme la couleur de l’immatériel, du céleste et du divin. Dès le XIIe siècle, il est associé à la Vierge Marie, dont le manteau bleu azur devient l’un des éléments iconographiques les plus répandus. Dans l’Antiquité, cette teinte rare et précieuse, extraite du lapis-lazuli, était déjà utilisée dans les fresques égyptiennes et les mosaïques romaines, mais ce n’est qu’avec le développement du vitrail gothique qu’elle acquiert une dimension spirituelle profonde. Les cathédrales du XIIIe siècle, à l’image de Chartres, consacrent le "bleu de Chartres", une nuance inégalée obtenue grâce à l’emploi du cobalt. Ce bleu intense, traversé par la lumière, devient une manifestation du divin, un écho des cieux ouverts où la lumière de Dieu descend sur les fidèles. Les enluminures carolingiennes adoptent également le bleu pour figurer le royaume céleste, comme en témoigne l’Évangéliaire de Godescalc, où le Christ trône au milieu d’un fond azuré, signifiant son rôle de médiateur entre Dieu et les hommes. L’Apocalypse de Saint-Jean (Ap 21, 19-20) décrit ainsi la Jérusalem céleste ornée de saphirs et de pierres d’azur, renforçant cette association entre le bleu et la transcendance.


À l’opposé, le rouge incarne une dualité puissante entre autorité terrestre et sacrifice spirituel. Couleur du sang et du feu, il symbolise autant le pouvoir royal que le martyre du Christ. Les rois capétiens adoptent le rouge pour leurs manteaux et bannières, à l’image de Saint Louis qui, dans les Grandes Chroniques de France, est représenté vêtu d’une cape écarlate, insigne de sa majesté. Le rouge est également omniprésent dans la liturgie : il est celui des chasubles de la Pentecôte, du Vendredi Saint et des fêtes des martyrs, rappelant le sang versé pour la foi. Mais cette couleur est aussi celle de la Passion du Christ, comme en témoigne le Retable d’Issenheim de Matthias Grünewald, où le rouge vif des stigmates contraste violemment avec la pâleur cadavérique du corps supplicié. Saint Augustin, dans ses Confessions, fait allusion au rouge comme la couleur du feu divin qui purifie et consume, une image qui se retrouve dans les fresques représentant le Jugement dernier, où les flammes de l’enfer dévorent les damnés, tandis que les bienheureux s’élèvent dans une lumière dorée. La cape rouge du Christ moqué par les soldats romains lors de sa Passion devient ainsi une métaphore visuelle du paradoxe chrétien : puissance et humiliation, vie et mort, royauté et sacrifice.


Le vert, quant à lui, demeure une couleur ambivalente, tiraillée entre la luxuriance de la nature et l’instabilité du mal. Il évoque la fertilité, la régénération et l’espérance, mais aussi la duplicité et le danger. Hildegarde de Bingen, dans ses visions mystiques, célèbre la viriditas, cette "verdeur divine" qui insuffle la vie dans le monde créé. Les enluminures médiévales en font l’attribut du printemps et de la renaissance spirituelle, comme en témoigne l’iconographie des psautiers où le Christ ressuscité foule un sol verdoyant, symbole de la victoire sur la mort. Pourtant, cette même couleur est aussi celle du diable et de ses créatures, en raison de son instabilité chimique qui rendait les pigments verts difficiles à fixer. Dans les vitraux de la cathédrale de Chartres, Satan apparaît avec une carnation verdâtre, tout comme Judas dans certaines fresques italiennes du Trecento. Le "chevalier vert" des légendes arthuriennes, notamment dans Sir Gauvain et le Chevalier vert, incarne cette ambiguïté : être surnaturel, il défie les règles de l’ordre chevaleresque et met à l’épreuve la foi du héros. Cette oscillation entre bien et mal, vie et pourriture, confère au vert une place singulière dans l’imaginaire médiéval.


Le jaune partage cette dualité, oscillant entre éclat et perfidie. Associé à la lumière et à la richesse dans l’iconographie chrétienne, il devient aussi la couleur de la trahison et de l’exclusion. Dans la Bible, Judas Iscariote est souvent représenté vêtu de jaune, notamment dans la fresque de la Dernière Cène de Giotto à Padoue, où son manteau safran tranche avec les teintes nobles des autres apôtres. Cette connotation négative se retrouve dans les règlements médiévaux qui imposent aux juifs le port d’une rouelle jaune, signe de leur marginalisation. Pourtant, le jaune est aussi la couleur de l’or, de la gloire divine et de la sagesse. Dans les icônes byzantines, le Christ Pantocrator est auréolé d’un fond d’or, représentant sa lumière éternelle. Le Moyen Âge joue ainsi sur cette dualité, faisant du jaune une couleur ambiguë, capable d’incarner à la fois la lumière céleste et la tromperie humaine.


Le blanc, en revanche, s’impose sans ambivalence comme le symbole de la pureté et de la sagesse. Présent dans la liturgie comme couleur de la Résurrection et des grandes fêtes christiques, il est également celle des robes des saints et des anges. Dans le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico, les figures célestes sont drapées de blanc immaculé, suggérant leur proximité avec Dieu. Cette teinte évoque également la connaissance et l’illumination spirituelle, comme en témoigne le vêtement blanc des néophytes lors du baptême. Dans la symbolique monastique, le blanc des cisterciens s’oppose au noir des bénédictins, traduisant une volonté de retour à une pureté originelle, débarrassée des fastes terrestres.
Enfin, le noir clôt ce spectre chromatique en incarnant la mort, l’humilité et le pouvoir. Associé au deuil et aux ténèbres, il devient paradoxalement la couleur du prestige et de l’autorité à la fin du Moyen Âge, notamment dans le vêtement princier. Philippe le Bon, duc de Bourgogne, adopte le noir comme couleur de sa cour, faisant écho à la sobriété des ordres monastiques. Les enluminures funéraires, comme celles du Livre d’Heures du duc de Berry, regorgent de figures drapées de noir, signe de pénitence et d’élévation spirituelle. Dans un monde où la lumière et l’obscurité sont perçues comme les deux pôles du combat entre Dieu et Satan, le noir joue un rôle central dans l’imaginaire chrétien, oscillant entre annihilation et puissance divine.
Ainsi, dans l’art médiéval, la couleur ne se limite pas à une fonction esthétique : elle est un langage, un code visuel qui structure le sacré et l’ordre du monde.
Après avoir exploré en profondeur la symbolique des principales couleurs dans l’art médiéval, il apparaît clairement que chaque teinte joue un rôle essentiel, non seulement en tant qu’élément visuel, mais aussi en tant que vecteur de significations spirituelles, politiques et culturelles. Le bleu céleste, le rouge de la Passion, le vert ambivalent, le jaune à double facette, le blanc de la pureté et le noir de l’humilité se combinent pour structurer une vision du monde profondément ancrée dans la théologie et la société médiévale. Ces codes chromatiques ne sont pas uniquement le reflet de croyances, mais un véritable langage visuel qui guide le regard du spectateur et oriente sa compréhension des œuvres.
Cette symbolique complexe se déploie de manière distincte selon les supports artistiques, chacun contribuant, à sa manière, à façonner l’expérience médiévale du sacré et du profane. Le prochain chapitre s’attardera sur l’application concrète de ces couleurs à travers différents arts médiévaux. Dans les enluminures, les couleurs ne sont pas choisies au hasard : elles guident la lecture des manuscrits, mettent en valeur les scènes bibliques et transmettent des idées théologiques essentielles. Dans l’art du vitrail, les nuances lumineuses jouent un rôle narratif puissant, transformant les cathédrales gothiques en espaces mystiques où la lumière divine devient tangible. Les fresques et peintures murales, quant à elles, recouvrent les églises et les palais de motifs symboliques, contribuant à l’éducation visuelle des fidèles et des laïcs. Enfin, les textiles et tapisseries, véritables miroirs des sociétés médiévales, offrent une perspective unique sur la perception des couleurs selon le contexte social, révélant les hiérarchies et les influences culturelles à travers leurs teintes variées.
Cette exploration de la symbolique des couleurs dans les différents arts médiévaux permettra de comprendre comment ces supports distincts, tout en exploitant les mêmes codes chromatiques, adaptent et enrichissent la signification des couleurs en fonction de leurs contraintes techniques, de leur public et de leur fonction symbolique. Nous découvrirons ainsi comment l’art médiéval, dans toute sa diversité, réussit à traduire en image une pensée profondément spirituelle et une esthétique codifiée, offrant aux hommes du Moyen Âge un univers où la couleur, loin d’être une simple décoration, devient un véritable langage de la foi et du pouvoir.



4. La symbolique des couleurs dans les arts médiévaux : Application dans différents arts médiévaux
L’usage des couleurs dans les arts médiévaux ne se limite pas à une simple question esthétique. Il s’agit d’un langage à part entière, destiné à structurer les récits visuels, à guider le regard du spectateur et à transmettre des messages symboliques et théologiques. Que ce soit dans les enluminures, les vitraux des cathédrales gothiques, les fresques murales ou les textiles précieux, chaque couleur est choisie avec soin, selon des conventions profondément ancrées dans la pensée médiévale. Cette application se manifeste dans différents médiums, façonnant la perception de l’image et influençant la relation du spectateur avec l’objet d’art.
Dans les manuscrits enluminés, la couleur joue un rôle essentiel en hiérarchisant l’information et en rendant les images intelligibles. Dès l’époque carolingienne, les copistes et enlumineurs utilisent des pigments aux significations précises, mettant en valeur les figures saintes ou distinguant les différents niveaux de lecture. L’or, omniprésent, est réservé aux lettres ornées et aux fonds sacrés, marquant la présence du divin. Dans le Psautier d’Ingeburge, réalisé vers 1200, le Christ trône dans un cadre doré, symbole de la lumière céleste, tandis que le bleu profond du ciel exprime la sagesse éternelle. Le rouge, quant à lui, est souvent employé pour les marges et les encadrements, accentuant l’importance de certains passages. L’organisation chromatique guide le lecteur dans une lecture intuitive du texte, renforçant la mémorisation des scènes bibliques. Les couleurs ne sont pas seulement décoratives ; elles participent activement à la transmission du message spirituel, comme en témoigne l’emploi du vert pour désigner l’espérance et le renouveau dans les miniatures des évangéliaires du XIIe siècle.
L’architecture gothique développe une autre approche de la couleur à travers les vitraux, où la lumière, filtrée par le verre teinté, crée un effet quasi mystique. Les grandes rosaces des cathédrales, comme celles de Chartres et de Reims, ne se contentent pas d’illustrer les Écritures : elles transforment la perception de l’espace sacré. Les tonalités dominantes, bleu et rouge, ne sont pas choisies au hasard. Le bleu cobalt, obtenu grâce à l’oxyde de cobalt et caractéristique du XIIIe siècle, devient la couleur mariale par excellence, associée à la Vierge et à la pureté divine. À Chartres, la célèbre Notre-Dame de la Belle Verrière baigne la nef dans une lumière bleutée, enveloppant les fidèles dans une atmosphère propice à la contemplation. Le rouge, intense et vibrant, marque les figures du Christ et des martyrs, évoquant la Passion et le sacrifice. Cette dramaturgie colorée est pensée pour accompagner les prières et immerger les croyants dans un espace où le sacré se manifeste par la lumière. En jouant sur l’interaction entre le verre et le soleil, les maîtres verriers médiévaux réussissent à donner vie aux récits bibliques, comme en témoigne le vitrail de la Crucifixion à Poitiers, où le rouge sanglant des blessures du Christ semble se fondre dans les rais du soleil couchant.
Si les vitraux transforment la lumière en une expérience spirituelle, les fresques murales et les peintures décoratives des églises offrent un autre champ d’expression à la symbolique chromatique. Dans les monastères clunisiens, les fresques romanes privilégient une palette restreinte mais intense, souvent dominée par des tons ocres, rouges et bleus. À Saint-Savin-sur-Gartempe, la voûte peinte raconte les histoires de l’Ancien Testament en utilisant une gamme de couleurs qui renforce l’intensité dramatique des scènes. Le rouge et l’orange y incarnent l’action et la violence, notamment dans la représentation du Déluge, où les flots semblent dévorer les silhouettes humaines. Au contraire, les fresques gothiques des cathédrales introduisent des jeux de contrastes plus subtils, comme dans la chapelle de Saint-Martin de Vic, où le vert et l’or sont associés à la majesté céleste. L’or, utilisé en aplat, permet de supprimer toute notion de perspective, immergeant le spectateur dans une vision hors du temps, propre à la pensée médiévale. Cette absence de profondeur accentue la frontalité des figures saintes, renforçant leur dimension iconique et intemporelle.
La couleur s’exprime aussi dans les textiles et les tapisseries, où elle prend une dimension sociale et symbolique. Les tissus brodés, omniprésents dans la vie quotidienne des élites, se chargent de significations distinctes selon les pigments employés. La tapisserie de Bayeux, bien que réalisée avec un nombre limité de couleurs, exploite pleinement leur charge symbolique. Le rouge des enseignes normandes affirme la puissance militaire de Guillaume le Conquérant, tandis que le bleu des vêtements royaux rappelle la distinction sociale des figures de la cour. Les teintures, souvent onéreuses, deviennent des marqueurs de statut. La pourpre, issue du murex, est réservée aux souverains et aux hauts dignitaires ecclésiastiques, comme en témoigne le manteau impérial de Frédéric Barberousse, conservé à Palerme. Le vert, perçu comme ambivalent, oscille entre la jeunesse et l’instabilité, expliquant sa rareté dans les costumes aristocratiques du XIIe siècle. L’évolution du goût pour le bleu, qui devient la couleur royale sous Philippe Auguste, marque un tournant dans la perception sociale des couleurs et influence durablement la mode vestimentaire européenne.
À travers ces différentes expressions artistiques, la couleur dans les arts médiévaux ne se contente pas d’embellir l’objet ou le lieu ; elle structure la pensée visuelle du Moyen Âge, guide le spectateur dans sa lecture du monde et inscrit chaque image dans un cadre symbolique puissant. Qu’elle éclaire les manuscrits, traverse les vitraux, anime les fresques ou habille les souverains, elle reste un langage à part entière, porteur d’une signification qui dépasse la simple esthétique.
À travers les enluminures, les vitraux, les fresques et les textiles, la couleur s’est imposée comme un langage visuel structurant les arts médiévaux. Elle ne se contente pas d’embellir, mais organise l’espace, hiérarchise l’information et transmet un message spirituel ou politique. Toutefois, cette symbolique des couleurs n’est pas figée. Au fil des siècles, elle évolue, se transforme et s’adapte aux mutations culturelles, techniques et sociales du Moyen Âge.
Entre le Haut et le Bas Moyen Âge, les changements de perception chromatique sont notables. Si les premiers siècles privilégient une palette réduite et fortement contrastée, notamment dans l’enluminure et la sculpture polychrome, le développement des vitraux gothiques et l’introduction de nouvelles techniques picturales permettent une approche plus nuancée et une diversité accrue des teintes. Le bleu, longtemps rare et marginal, devient la couleur royale et mariale par excellence, tandis que le rouge, symbole du pouvoir impérial et du sacrifice christique, voit ses usages se diversifier.
Ces évolutions ne s’expliquent pas uniquement par des considérations esthétiques. Elles sont aussi le reflet des transformations sociopolitiques et des échanges culturels entre l’Occident chrétien, le monde byzantin et le monde islamique. L’essor des routes commerciales et la circulation des pigments précieux, comme l’azurite ou la laque rouge venue d’Orient, enrichissent la palette des artistes et influencent leur manière d’aborder la couleur. Les innovations techniques dans la peinture murale et l’art textile contribuent également à redéfinir les conventions symboliques.
Avec la fin du Moyen Âge et l’émergence de la Renaissance, la place de la couleur dans l’art connaît un bouleversement radical. Les codes hérités de la pensée médiévale se confrontent aux nouvelles préoccupations artistiques centrées sur le naturalisme et la perspective. Si certains symboles chromatiques perdurent, d’autres évoluent sous l’influence des théories de la lumière et des expérimentations des peintres flamands et italiens. L’héritage médiéval ne disparaît pas, mais il se transforme, nourrissant une réflexion plus large sur le rôle de la couleur dans la construction des images sacrées et profanes.
C’est cette transition fondamentale, entre permanence et renouveau, que nous allons maintenant explorer à travers l’évolution et la transformation de la symbolique des couleurs du Moyen Âge à l’aube de l’ère moderne.



5. Évolution et transformation de la symbolique des couleurs dans les arts médiévaux
La symbolique des couleurs au Moyen Âge a subi une transformation profonde entre le Haut et le Bas Moyen Âge, révélant des évolutions à la fois artistiques, culturelles et théologiques. À l’époque carolingienne, les couleurs étaient étroitement liées à la tradition romaine tardive et aux conceptions héritées de l’Antiquité. Le rouge, omniprésent, symbolisait la puissance et le sacré, en écho aux vêtements impériaux et aux riches tentures des palais byzantins. Le bleu, quant à lui, n’était guère plus qu’une nuance secondaire, souvent assimilée au noir et reléguée à des rôles utilitaires. Cette perception évolua progressivement avec l’essor de la chevalerie et la redéfinition du pouvoir sacré. À partir du XIIᵉ siècle, le bleu s’imposa comme la couleur de la royauté chrétienne, influencé par la montée du culte marial et la popularisation des pigments lapis-lazuli importés d’Orient. Louis IX, plus tard canonisé, fit broder son manteau de sacre de lys d’or sur fond azur, consacrant définitivement cette association entre le bleu et le pouvoir divin.
L’introduction de nouvelles techniques picturales et la diversification des pigments modifièrent également la perception des couleurs. L’enluminure carolingienne utilisait des teintes vives et contrastées, souvent encadrées de motifs d’inspiration antique. À partir du XIIIᵉ siècle, l’usage du modelé et des ombrages se développa sous l’influence de l’art gothique et des échanges avec l’Italie, où Giotto amorçait une révolution visuelle en accordant un rôle central à la lumière et à la profondeur chromatique. Dans les vitraux des cathédrales, les verriers français exploitèrent pleinement ces nouvelles possibilités, combinant le rouge et le bleu dans des compositions flamboyantes qui magnifiaient la lumière divine. À Chartres, les immenses verrières bleues du XIIIᵉ siècle, réalisées avec du cobalt de Bohême, devinrent emblématiques de cette période où la couleur transcendait le simple ornement pour devenir un vecteur de spiritualité.
Le passage au Bas Moyen Âge accentua encore ces transformations, alors que l’héraldique codifiait strictement l’usage des couleurs et que les commanditaires laïcs revendiquaient une palette plus variée. L’essor du commerce des pigments, facilitant l’accès à des colorants raffinés comme le vermillon et l’indigo, enrichit les œuvres et diversifia les symboles attachés à chaque teinte. L’Église, soucieuse d’encadrer ces évolutions, imposa certaines conventions : le blanc, réservé aux fêtes liturgiques majeures, devint un marqueur de pureté et de résurrection, tandis que le noir, longtemps perçu comme une absence de couleur, fut progressivement assimilé à la pénitence et au deuil.
À l’aube de la Renaissance, la symbolique médiévale des couleurs fut réinterprétée par les peintres humanistes, qui, inspirés par les traités d’Alberti et de Léonard de Vinci, cherchèrent à rationaliser leur usage selon des principes optiques et mathématiques. Le déclin de la hiérarchie stricte des teintes au profit d’une approche plus naturaliste marqua la fin d’un système codifié hérité du Moyen Âge. Pourtant, certaines associations perdurèrent, comme en témoigne l’iconographie religieuse où le bleu continua de symboliser le divin, notamment dans les fresques de Fra Angelico et les retables de Van Eyck, témoins de cette transition où l’héritage médiéval persistait dans un monde en pleine mutation.
La symbolique des couleurs dans les arts médiévaux a connu des évolutions significatives, révélant à la fois les transformations techniques, les influences culturelles et les enjeux spirituels de chaque époque. De la domination du rouge dans le Haut Moyen Âge à l’ascension du bleu sous l’impulsion du culte marial et du pouvoir royal, chaque teinte a reflété des mutations profondes dans la société médiévale. Les innovations picturales, l’enrichissement des palettes grâce aux échanges commerciaux et la codification progressive des couleurs dans l’héraldique et l’iconographie religieuse ont façonné une véritable grammaire visuelle dont l’héritage demeure perceptible bien au-delà du Moyen Âge.
Loin de disparaître avec l’avènement de la Renaissance, ces codes chromatiques ont influencé durablement l’art occidental, notamment dans la peinture religieuse et la symbolique du pouvoir. La continuité de certaines associations chromatiques, comme le bleu céleste ou le noir du deuil, témoigne de la profondeur de ces héritages. Pour mieux comprendre cette transmission, l’étude des traités médiévaux sur la couleur, qu’il s’agisse des textes d’Alberti ou des écrits des enlumineurs, constitue une piste précieuse pour saisir les fondements théoriques et techniques qui ont nourri l’esthétique et la perception des couleurs.



Conclusion
La symbolique des couleurs dans l’art médiéval ne se limite pas à une simple convention esthétique : elle est un langage structuré, hérité de traditions philosophiques, religieuses et sociales, qui traverse les siècles et influence durablement l’art occidental. Du bleu céleste des vitraux gothiques au rouge éclatant des manteaux royaux, chaque teinte traduit une vision du monde ancrée dans la théologie et la hiérarchisation du sacré. Cette grammaire chromatique ne disparaît pas avec la fin du Moyen Âge : elle évolue et s’adapte, nourrissant la Renaissance, où la couleur devient un enjeu central de la peinture humaniste, puis les courants artistiques modernes, où elle conserve une charge symbolique forte.
L’étude des couleurs médiévales ouvre ainsi de nombreuses perspectives, qu’il s’agisse d’explorer les traités techniques des enlumineurs, d’analyser leur emploi dans l’héraldique ou d’approfondir leur influence sur l’iconographie chrétienne. Comprendre ces nuances, c’est saisir l’héritage visuel d’un monde où l’art était avant tout un outil de transmission spirituelle et culturelle, et où la couleur, loin d’être anodine, façonnait la perception du divin et de l’humain.
Iconographie

Folio de l’"Évangéliaire de Godescalc" (vers 781, manuscrit carolingien, BNF)
Ce folio issu de l'Évangéliaire de Godescalc, commandé par Charlemagne et conservé à la BnF, illustre l'importance de la couleur dans l’art carolingien. Il représente le Christ en majesté, trônant sur un fond d’or, symbole de lumière divine et d’éternité. La dominance du bleu et du pourpre dans son vêtement souligne la royauté céleste et la sagesse divine, tandis que les motifs entrelacés et les inscriptions sacrées renforcent l’aspect liturgique du manuscrit.
Annotations et analyse chromatique :
Or (fond et nimbe crucifère) :
Symbole de la divinité, de la lumière éternelle et de l’incorruptibilité.
Technique de la dorure pour créer un effet céleste hors du temps.
Bleu (vêtement du Christ) :
Associé au divin, à la sagesse et à la transcendance.
Teinte obtenue à partir de l’azurite ou du lapis-lazuli, rare et précieuse.
Pourpre (manteau du Christ) :
Couleur impériale et liturgique, réservée aux figures de haut rang.
Reflète l’influence byzantine et la puissance du commanditaire.
Rouge (détails du trône et motifs décoratifs) :
Évoque à la fois la Passion du Christ et l’autorité royale.
Motifs végétaux et entrelacs (bordure décorative) :
Inspirés de l’iconographie insulaire et mérovingienne, symbolisant la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament.

"Saint Augustin écrivant" – Philippe de Champaigne (XVIIe siècle)
Ce tableau représente saint Augustin, l’un des Pères de l’Église, en pleine contemplation et écriture théologique. L’iconographie met en avant l’importance des couleurs dans la transmission du message divin. Son manteau richement brodé d’or, sa tunique blanche et le cœur enflammé qu’il tient illustrent la fusion entre sagesse, foi et inspiration divine. L’inscription "Veritas" baignée de lumière divine souligne l’idée d’une révélation spirituelle.
Annotations et analyse chromatique :
Or (manteau liturgique, broderies, lumière divine)
Symbole de la sagesse divine et de l’éclat céleste.
Reflète la richesse spirituelle et l’autorité de l’Église.
Blanc (tunique de saint Augustin, pages du livre ouvert)
Représente la pureté et la vérité.
Met en opposition avec les ténèbres de l’ignorance.
Rouge (cœur enflammé, intérieur de la cape, tapis brodé)
Symbole de l’amour divin et du zèle théologique.
Illustre l’ardeur intellectuelle et spirituelle du saint.
Vert (rideau en arrière-plan)
Évoque la connaissance en perpétuel renouveau.
Apporte un contraste avec les couleurs chaudes pour équilibrer la composition.
Bleu (chaussures, éléments de broderie sur la chasuble)
Couleur de la sagesse et de la contemplation.
Souligne l’aspect intellectuel de saint Augustin.

Vitrail de "Notre-Dame de la Belle Verrière" – Cathédrale de Chartres (XIIIe siècle)
Ce vitrail emblématique de la cathédrale de Chartres, datant du XIIIe siècle, incarne la symbolique chromatique du Moyen Âge. Il représente la Vierge Marie en majesté, trônant sous une auréole lumineuse, tenant l'Enfant Jésus. Ce chef-d’œuvre est célèbre pour son "bleu de Chartres", une teinte unique obtenue grâce à l'oxyde de cobalt, conférant à la composition une profondeur spirituelle inégalée. L’association du bleu céleste et du rouge éclatant met en lumière la double nature du Christ : divinité et sacrifice.
Annotations et analyse chromatique :
Bleu (fond, manteau de la Vierge, détails du trône du Christ)
Symbole du divin, de la sagesse et de la pureté mariale.
"Bleu de Chartres", obtenu avec du cobalt, traversé par la lumière pour un effet mystique.
Rouge (fond derrière Marie, encadrements, éléments des anges et Christ)
Associé au sang du Christ, à la Passion et à l'autorité spirituelle.
Utilisé pour équilibrer la composition et structurer l’image.
Or (détails de la couronne et des ornements royaux)
Représente la lumière divine et l’éternité.
Présent dans les couronnes pour souligner la royauté céleste.
Vert (vêtements des anges inférieurs)
Symbole ambivalent : renouveau spirituel ou instabilité.
Ici, utilisé pour marquer la transition entre le monde terrestre et céleste.
Blanc (aile de la colombe, nimbes et détails des anges)
Représente la pureté divine et l’Esprit Saint.
Met en valeur la présence sacrée et l’action de Dieu dans la scène.

"Le Jugement Dernier" – Fresque de la Chapelle Scrovegni, Giotto (XIVe siècle)
Peinte par Giotto vers 1305 dans la Chapelle Scrovegni de Padoue, cette fresque illustre la vision chrétienne médiévale du Jugement Dernier. Le Christ trônant au centre, entouré d’une mandorle dorée, sépare les élus des damnés. L’organisation chromatique renforce la hiérarchie spirituelle : le bleu céleste pour le paradis, le rouge pour la puissance divine et le châtiment, et les tons sombres pour l’enfer.
Annotations et analyse chromatique :
Bleu (fond céleste, vêtements des anges et élus)
Couleur du sacré, du divin et de la transcendance.
Présent derrière les bienheureux pour signifier leur proximité avec Dieu.
Giotto utilise le bleu outremer, pigment coûteux dérivé du lapis-lazuli, réservé aux scènes célestes.
Rouge (vêtement du Christ, courants infernaux, damnation)
Symbolise le pouvoir du Christ en majesté.
Dans l’enfer, utilisé pour marquer le feu, la souffrance et la condamnation éternelle.
Opposition entre le rouge du Christ souverain et celui des flammes infernales.
Or (mandorle du Christ, auréoles des saints)
Symbole de la lumière divine et de l’éternité.
Utilisé pour distinguer les élus et souligner leur sainteté.
Noir et gris (enfer, corps des damnés, démon central en bas à droite)
Couleurs du néant, du chaos et du péché.
Le diable et les âmes damnées sont plongés dans des teintes sombres et terreuses, marquant leur perte spirituelle.
Blanc (vêtements des anges et des élus les plus proches du Christ)
Représente la pureté et la rédemption.
Fait contraste avec l’obscurité de l’enfer.

Arbre de Jessé – Psautier d’Ingeburge (vers 1200, Chantilly, Musée Condé)
Cette enluminure du Psautier d’Ingeburge représente l’Arbre de Jessé, une généalogie symbolique du Christ issue de l’Ancien Testament. Jessé, représenté allongé à la base, laisse émerger un arbre dont les branches portent ses descendants et culminent avec le Christ. L’arrière-plan doré, typique de l’enluminure gothique primitive, accentue la sacralité de la scène. La palette chromatique médiévale se distingue par l’usage du bleu profond, du rouge éclatant et des tons dorés, servant à hiérarchiser visuellement les figures saintes.
Annotations et analyse chromatique :
Or (fond et contours des figures)
Symbole de la divinité et de la lumière céleste.
Efface la perspective pour une représentation intemporelle.
Bleu (vêtements des figures saintes, feuillage de l’arbre)
Représente la sagesse et la transcendance divine.
Pigment coûteux (lapis-lazuli), réservé aux figures sacrées.
Rouge (robes et éléments architecturaux)
Associé à la royauté et à la Passion du Christ.
Utilisé pour structurer la composition et attirer le regard sur certaines figures.
Vert (détails du feuillage, éléments de l’arbre)
Évoque la vie, la croissance et la filiation spirituelle.
Contraste avec les couleurs chaudes pour équilibrer la composition.
Blanc et gris (visages, cheveux, rouleaux de texte)
Suggèrent la pureté et la sagesse des figures bibliques.
Utilisés pour les inscriptions et les éléments narratifs secondaires.

Petite rose du portail central – Cathédrale de Reims (XIIIe siècle)
Cette rosace gothique de la cathédrale de Reims illustre la richesse symbolique des vitraux du XIIIe siècle. La composition est centrée sur la Vierge à l'Enfant, entourée d’un réseau de médaillons représentant des figures saintes et des éléments architecturaux. L’harmonie des couleurs, dominée par le bleu et le rouge, crée un effet lumineux structurant l’espace sacré et guidant la lecture théologique du vitrail.
Annotations et analyse chromatique :
Bleu (fond principal, ornements des médaillons, contours des figures)
Symbole du divin et de la transcendance.
Couleur mariale par excellence, renforçant la centralité de la Vierge.
Effet apaisant et spirituel par la diffusion de la lumière bleue dans la nef.
Rouge (bordures des médaillons, vêtements des saints et anges)
Évoque la Passion du Christ et le sacrifice.
Accentue les contrastes et structure la composition.
Or et jaune (détails des auréoles, motifs architecturaux)
Représente la lumière divine et la sainteté.
Met en valeur les figures saintes et les attributs célestes.
Vert (motifs floraux et éléments secondaires)
Couleur associée à la vie et au renouveau spirituel.
Contrepoint aux teintes chaudes pour équilibrer visuellement la rosace.
Ce vitrail illustre l’application d’un langage chromatique structuré dans l’architecture gothique, où la lumière, transformée par la couleur, devient un médium théologique et artistique.

Dieu en majesté – Tapisserie de l’Apocalypse (XIVe siècle, château d’Angers)
Cette tapisserie monumentale, commandée par le duc Louis Ier d’Anjou vers 1375-1380, illustre l’Apocalypse selon saint Jean. L’épisode représenté ici montre Dieu en majesté, assis dans une mandorle entourée des symboles des évangélistes et de figures royales. Le fond rouge intense accentue la dimension dramatique et sacrée de la scène, tandis que la palette chromatique souligne la hiérarchie céleste et l’eschatologie du message biblique.
Annotations et analyse chromatique :
Rouge (fond principal, vêtements des rois, bordures de la mandorle)
Couleur du pouvoir, du jugement divin et de la royauté.
Accentue le caractère dramatique et solennel de la scène.
Bleu (détails du vêtement de Dieu, éléments célestes au sommet de la tapisserie)
Associé au sacré et à la sagesse divine.
Contraste avec le rouge pour marquer la séparation entre le céleste et le terrestre.
Or et jaune (auréole, couronnes des rois, motifs architecturaux)
Symbole de la lumière divine et de la sainteté.
Utilisé pour distinguer les figures saintes et royales.
Vert (éléments végétaux et animaux, plinthes des figures saintes)
Représente le renouveau, la vie et la transition entre le monde terrestre et céleste.
Équilibre la composition en adoucissant l’opposition entre rouge et bleu.
Cette tapisserie est un exemple exceptionnel de l’usage narratif des couleurs dans l’art médiéval. Elle combine les codes de l’héraldique et de la peinture gothique pour structurer visuellement le récit apocalyptique et guider le regard du spectateur dans une lecture à la fois symbolique et hiérarchisée du texte biblique.

"Les Très Riches Heures du Duc de Berry" – Labours des Mois (XVe siècle, Musée Condé, Chantilly)
Chef-d’œuvre de l’enluminure gothique tardive, Les Très Riches Heures du Duc de Berry ont été réalisées entre 1411 et 1416 par les frères de Limbourg. Cette série illustre les mois de l’année à travers des scènes de la vie quotidienne médiévale et des représentations des châteaux du duc. Chaque enluminure combine une palette de couleurs raffinée et des détails architecturaux et paysagers précis, reflétant l’évolution du goût et l’usage avancé des pigments.
Annotations et analyse chromatique :
Bleu (voûtes célestes, vêtements nobles, éléments architecturaux)
Obtenu à partir du lapis-lazuli, symbole de richesse et de prestige.
Couleur associée à la royauté et au divin, marquant la hiérarchie sociale.
Rouge (détails vestimentaires, éléments décoratifs, feuillages d’automne)
Couleur du pouvoir et de la vitalité.
Utilisée pour attirer le regard sur certaines figures et scènes.
Or et jaune (étoiles, éléments architecturaux, rehauts des vêtements)
Symbolise la lumière céleste et la prospérité.
Technique de la dorure pour accentuer l’éclat et donner un effet luxueux.
Vert (champs, feuillage, vêtements paysans)
Évoque la fertilité et le cycle des saisons.
Apporte une naturalité renforcée par la minutie du dessin.
Blanc et gris (neige, bâtiments, certains vêtements)
Couleurs de la clarté et du réalisme.
Permettent de marquer les contrastes entre les saisons et les scènes.
L’évolution des pigments et des techniques de l’enluminure se manifeste ici par l’attention portée aux ombres, aux reflets et à la profondeur spatiale. Cet ouvrage marque une transition vers un art plus naturaliste, annonçant les recherches sur la perspective et la lumière de la Renaissance.
Bibliographie consolidée
Ouvrages généraux sur la symbolique des couleurs
Pastoureau, M. (2000). Bleu : Histoire d’une couleur. Seuil.
Pastoureau, M. (2005). Noir : Histoire d’une couleur. Seuil.
Pastoureau, M. (2008). Noir. Histoire d'une couleur. Seuil.
Pastoureau, M. (2013). Vert : Histoire d’une couleur. Seuil.
Pastoureau, M. (2016). Rouge : Histoire d’une couleur. Seuil.
Pastoureau, M. (2019). Jaune : Histoire d’une couleur. Seuil.
Pastoureau, M. (1990). Couleurs, images, symboles. Le Léopard d'Or.
Gage, J. (1993). Color and culture: Practice and meaning from antiquity to abstraction. University of California Press.
Articles et chapitres spécialisés
Brun, L. (2008). Blanc, rouge, or et vert : les couleurs de la merveille dans les Lais. In Lumière et vision dans les Lais de Marie de France (pp. 165-184). Presses Universitaires de Provence.
Taburet-Delahaye, É. (2015). De la couleur dans les enluminures médiévales : entre symbolisme et matérialité. HAL Archives.
Pastoureau, M. (2007). Une couleur en mutation : le vert à la fin du Moyen Âge. Comptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 151(2), 705-731.
Pauwels, Y. (2017). Notes sur la couleur dans la littérature artistique de la Renaissance. In Couleurs et matières dans la peinture de la Renaissance (pp. 45-78). Presses Universitaires de Rennes.
Sources primaires et documents médiévaux
Théophile, moine (XIIe siècle). (1979). De diversis artibus: L’artisan au Moyen Âge (J. Gimpel, Trad.). Éditions du Seuil.
Vincent de Beauvais (XIIIe siècle). (1473). Speculum Naturale. Édition incunable. Bibliothèque nationale de France.
Bède le Vénérable (VIIIe siècle). (1980). De Temporum Ratione (F. Wallis, Trad.). Liverpool University Press.
Hildegarde de Bingen (XIIe siècle). (1997). Scivias (B. Newman, Trad.). Paulist Press.
Études sur les pigments et techniques picturales
Ball, P. (2001). Bright Earth: Art and the Invention of Color. University of Chicago Press.
Béguerie-De Paepe, M., & Goupy, J. (2018). Les couleurs au Moyen Âge : Pratiques et matérialité de la couleur dans les manuscrits médiévaux. CNRS Éditions.
Berrie, B. H. (2015). Artists' Pigments: A Handbook of Their History and Characteristics, Volume 4. National Gallery of Art.
Christie, R. M. (2001). Color Chemistry. Cambridge: Royal Society of Chemistry.
Merrifield, M. P. (1849). Original Treatises dating from the XIIth to the XVIIIth on the Art of Painting. J. Murray.
Symbolique et usage des couleurs dans les arts médiévaux
Boudreau, C. (À paraître). Le Blason des couleurs en armes, livrées et devises du héraut Sicile. Édition critique.
Brault, G. J. (1972). Early Blazon: Heraldic Terminology in the Twelfth and Thirteenth Centuries. Oxford : Clarendon Press.
Douët d’Arcq, L. (1859-1860). Armorial de France de la fin du XIVe siècle. Le Cabinet historique.
Vale, M. G. A. (1981). War and Chivalry: Warfare and Aristocratic Culture in England, France and Burgundy at the End of the Middle Ages. Duckworth.
Études sur l’héritage médiéval dans la Renaissance
Baxandall, M. (1988). Painting and Experience in Fifteenth-Century Italy. Oxford University Press.
Kemp, M. (1990). The Science of Art: Optical Themes in Western Art from Brunelleschi to Seurat. Yale University Press.
Mâle, É. (1958). L’art religieux de la fin du Moyen Âge en France : Étude sur l’iconographie du Moyen Âge et de la Renaissance. Armand Colin.
Sources d’archives et documents historiques
Cennini, C. (1437). Il Libro dell'Arte (Éd. Thompson, D. V., 1933). Yale University Press.
Theophilus, P. (1125). De diversis artibus (éd. Dodwell, C. R., 1961). Clarendon Press.
Vasari, G. (1550). Le Vite de' più eccellenti pittori, scultori, e architettori. Berger-Levrault.
Glossaire
A
Alchimie : Discipline médiévale mêlant science et spiritualité, utilisée notamment pour la fabrication des pigments comme le vermillon (mercure et soufre) ou certains bleus artificiels.
Anagogie : Terme théologique désignant une lecture symbolique qui élève l’âme vers le divin, souvent appliqué aux couleurs et aux représentations artistiques médiévales.
Azuré : Désignant une teinte de bleu profond obtenue à partir du lapis-lazuli, souvent utilisée dans l’enluminure et la peinture murale.
Azurite : Pigment minéral bleu issu du carbonate de cuivre, largement utilisé dans les enluminures et peintures murales avant d’être supplanté par l’outremer.
B
Bas Moyen Âge : Période s’étendant du XIIIᵉ au XVᵉ siècle, caractérisée par une évolution des pratiques artistiques et une diversification de la palette chromatique grâce aux innovations techniques et aux échanges commerciaux.
Blanc : Couleur associée à la pureté, la sagesse et la lumière divine, fréquemment utilisée pour représenter les saints et les anges dans l’iconographie médiévale.
Bleu : Symbole de la divinité, du ciel et de la Vierge Marie, couleur précieuse obtenue à partir du lapis-lazuli ou de l’azurite.
Byzantinisme : Influence artistique issue de l’Empire byzantin, caractérisée par l’emploi d’or et de couleurs vives, notamment le rouge et le bleu.
C
Carolingien (Art) : Style artistique sous la dynastie carolingienne (VIIIᵉ-Xᵉ siècle), caractérisé par l’usage de l’or, du pourpre et du bleu dans les manuscrits enluminés.
Chrysographie : Technique médiévale consistant à utiliser de l’or ou du jaune lumineux pour mettre en valeur certains éléments des manuscrits et des icônes.
Cinabre : Sulfure de mercure naturel utilisé pour produire un rouge éclatant, prisé dans l’enluminure et la peinture murale mais toxique.
Codex : Manuscrit relié en forme de livre, souvent enluminé avec des couleurs symboliques.
D
Dorure : Application d’or sur les enluminures, fresques ou objets liturgiques pour souligner la divinité et la richesse spirituelle d’une scène.
E
Écarlate : Rouge vif obtenu à partir de la cochenille ou du kermès, employé pour les vêtements royaux et ecclésiastiques.
Émaillage : Technique artistique appliquée sur le verre ou le métal, utilisée dans la fabrication des vitraux et des objets liturgiques.
Enluminure : Art de la décoration manuscrite, intégrant des pigments colorés et des dorures pour structurer le texte et le mettre en valeur.
F
Fresque : Peinture murale réalisée sur un enduit humide, permettant une intégration durable des pigments et une richesse chromatique.
Fond d’or : Arrière-plan doré utilisé dans l’iconographie chrétienne pour signifier le divin et l’intemporel.
G
Glaçure : Technique utilisée dans la céramique et la verrerie pour donner un aspect brillant et coloré aux objets.
Gothique (art) : Style médiéval caractérisé par l’usage du vitrail et des couleurs vives pour accentuer l’effet lumineux des cathédrales.
Guède : Plante tinctoriale utilisée pour produire un bleu clair, souvent mélangé à du jaune pour obtenir du vert.
H
Héraldique : Système de symboles et de couleurs utilisé dans les blasons et armoiries pour représenter l’identité et la lignée des familles nobles.
Huile (Peinture à l’) : Technique picturale introduite à la fin du Moyen Âge et perfectionnée par les peintres flamands, permettant une meilleure maîtrise des dégradés et de la lumière.
I
Iconographie : Étude et interprétation des images dans l’art médiéval, où les couleurs jouent un rôle fondamental dans la transmission des messages religieux.
Indigo : Teinte de bleu foncé obtenue à partir de la plante du même nom, parfois utilisée en complément du lapis-lazuli.
J
Jaune : Couleur ambivalente dans l’art médiéval, associée à la lumière divine mais aussi à la trahison, notamment dans la représentation de Judas.
L
Lapis-lazuli : Pierre précieuse broyée pour produire un pigment bleu intense, utilisé dans les manuscrits enluminés et les fresques religieuses.
Liturgie : Ensemble des rites et cérémonies religieuses où les couleurs liturgiques jouent un rôle important (blanc pour la pureté, rouge pour le martyr, etc.).
M
Malachite : Minéral utilisé pour produire un pigment vert, souvent employé dans les enluminures et les fresques.
Minium : Pigment rouge tiré de l’oxyde de plomb, très utilisé dans l’enluminure médiévale.
N
Noir : Couleur ambivalente symbolisant à la fois la mort, l’humilité monastique et le pouvoir, notamment dans les enluminures funéraires et les habits religieux.
Nimbé : Terme désignant l’auréole lumineuse entourant la tête des saints, généralement dorée ou blanche.
O
Orpiment : Pigment jaune à base de sulfure d’arsenic, utilisé pour sa brillance mais progressivement abandonné en raison de sa toxicité.
P
Pigments naturels : Substances minérales, végétales ou animales utilisées pour colorer les enluminures, vitraux et fresques médiévales.
Pourpre : Couleur rare et coûteuse tirée du murex, associée au pouvoir impérial et aux hautes autorités religieuses.
R
Rouge : Couleur du pouvoir et du sacrifice, utilisée pour représenter aussi bien les rois que le sang du Christ et les martyrs.
S
Sanguine : Pigment rouge-brun utilisé pour le dessin et la fresque, tiré de l’ocre ferrugineuse.
Symbolisme chromatique : Étude des significations attribuées aux couleurs dans l’art et la culture médiévale.
T
Teinture végétale : Procédé permettant d’obtenir des couleurs à partir de plantes comme la garance (rouge), l’indigo (bleu) ou le pastel (bleu clair).
Tesselles : Petits fragments de pierre ou de verre coloré utilisés dans les mosaïques médiévales.
V
Vermillon : Pigment rouge vif produit par alchimie à partir de mercure et de soufre, largement utilisé dans les enluminures.
Vert-de-gris : Pigment verdâtre obtenu par l’oxydation du cuivre, parfois employé dans les enluminures mais sujet à des dégradations chimiques avec le temps.
Vitrail : Assemblage de morceaux de verre coloré dans des fenêtres gothiques, où la lumière et la couleur se combinent pour créer des effets narratifs et symboliques.
ACTEURS MARQUANTS DE LA SYMBOLIQUE DES COULEURS DANS L’ART MÉDIÉVAL
L’étude et l’évolution de la symbolique des couleurs au Moyen Âge résultent de l’interaction de plusieurs figures majeures, issues de divers domaines (théologiens, philosophes, artistes, commanditaires et marchands). Ces acteurs ont contribué à façonner la perception, l’usage et la signification des couleurs dans les arts visuels.
1. Les théoriciens et penseurs de la couleur
Ces figures ont élaboré les principes symboliques des couleurs et influencé leur usage dans l’art médiéval.
Aristote (384-322 av. J.-C.) : Sa théorie sur la perception des couleurs (De Sensu et Sensato) a influencé la pensée médiévale.
Platon (428-348 av. J.-C.) : Son approche des couleurs en lien avec l’Idée du Beau a marqué la philosophie médiévale.
Isidore de Séville (560-636) : Dans Etymologiae, il codifie la signification des couleurs dans un cadre encyclopédique.
Saint Augustin (354-430) : Ses écrits sur la lumière et la perception sensorielle (De Genesi ad Litteram) influencent l’usage des couleurs dans la théologie chrétienne.
Bède le Vénérable (672-735) : Associe certaines couleurs aux cycles du temps et aux éléments cosmiques.
Hildegarde de Bingen (1098-1179) : Introduit le concept de viriditas, associant le vert à la vie divine.
Thomas d’Aquin (1225-1274) : Intègre la théorie aristotélicienne de la couleur dans une lecture chrétienne de la lumière.
Barthélemy l’Anglais (XIIIᵉ siècle) : Dans De proprietatibus rerum, il décrit les propriétés symboliques et matérielles des couleurs.
Jean de Bado Aureo (XIVᵉ siècle) : Normalise les couleurs dans l’héraldique médiévale.
Michel Pastoureau (1947-2023) : Historien spécialiste de la symbolique des couleurs médiévales.
2. Les artistes et artisans médiévaux
Ils sont les créateurs des œuvres qui traduisent la symbolique des couleurs dans divers supports.
Les enlumineurs : Moines copistes et artistes laïcs appliquant la symbolique des couleurs aux manuscrits (ex. : Psautier d’Ingeburge).
Les maîtres verriers : Artisans spécialisés dans la fabrication des vitraux, exploitant la lumière pour sublimer les couleurs (ex. : vitraux de Chartres).
Les fresquistes et peintres muraux : Utilisent les pigments dans des décors religieux et profanes (ex. : Giotto et la Chapelle Scrovegni).
Les teinturiers et tisserands : Spécialistes des textiles, influençant la perception des couleurs dans les vêtements (ex. : ateliers flamands et la Dame à la licorne).
Les alchimistes et pigmentiers : Développent des techniques pour stabiliser et améliorer les couleurs (ex. : vermillon synthétisé).
3. Les commanditaires et institutions influentes
Leurs commandes artistiques orientent la production et le choix des couleurs selon des contextes politiques et religieux.
L’Église chrétienne : Encadre l’usage des couleurs dans les rituels et l’iconographie (ex. : Innocent III fixe les couleurs liturgiques).
Les souverains et nobles : Commandent des œuvres où les couleurs soulignent leur puissance (ex. : Philippe le Bon et l’usage du noir).
Les mécènes aristocratiques : Financiers d’enluminures et vitraux (ex. : Jean de Berry et ses manuscrits richement illustrés).
Les abbayes et monastères : Centres de production artistique respectant la symbolique des couleurs (ex. : l’abbaye de Cluny).
Les chevaliers et hérauts d’armes : Diffusent les codes de l’héraldique où chaque couleur a une signification précise.
Les guildes et corporations d’artisans : Régulent la production des pigments et des teintures.
4. Les marchands et producteurs de pigments
L’accès aux pigments et leur commercialisation jouent un rôle central dans la transformation des couleurs.
Les marchands vénitiens : Importent le lapis-lazuli, essentiel pour la fabrication de l’outremer.
Les teinturiers flamands et italiens : Maîtrisent la fabrication des pigments rouges et bleus (ex. : garance, cochenille, pastel).
Les alchimistes et apothicaires : Expérimentent des mélanges chimiques pour stabiliser les pigments (ex. : Jean Le Bègue et ses recettes de pigments).
Les artisans verriers : Développent les techniques de fabrication du verre coloré (ex. : verriers de Chartres).

Chronologie globale de la symbolique des couleurs dans l’art médiéval
L’évolution de la symbolique des couleurs au Moyen Âge est influencée par des traditions antiques, des interprétations théologiques et des innovations artistiques. Cette chronologie retrace les grandes étapes de cette transformation.
Antiquité et influences pré-médiévales (IVe siècle av. J.-C. - Ve siècle apr. J.-C.)
IVe siècle av. J.-C. : Aristote développe une théorie de la couleur fondée sur l’opposition entre lumière et obscurité (De Sensu et Sensato), influençant la pensée médiévale.
Ier siècle av. J.-C. – Ier siècle apr. J.-C. : Vitruve et Pline l’Ancien mentionnent les pigments et leurs propriétés dans l’art romain (Histoire naturelle).
IIIe siècle apr. J.-C. : Origène associe certaines couleurs aux vertus chrétiennes dans ses écrits exégétiques.
Ve siècle apr. J.-C. : Saint Augustin écrit De Genesi ad Litteram, explorant le symbolisme de la lumière et des couleurs dans la création divine.
Haut Moyen Âge (Ve-Xe siècles) : Fondations chrétiennes de la symbolique des couleurs
529 : Fondation du monastère du Mont-Cassin par saint Benoît, influençant la transmission des savoirs en enluminure et la symbolique des couleurs.
VIe siècle : Isidore de Séville rédige Étymologies, définissant la couleur comme une manifestation de la lumière divine.
VIIe siècle : Bède le Vénérable, dans De Temporum Ratione, associe les couleurs aux saisons et aux éléments cosmiques.
VIIIe siècle : Développement des manuscrits enluminés insulaires (Angleterre, Irlande), caractérisés par des motifs complexes et une palette limitée mais contrastée.
VIIIe-IXe siècles : Les enluminures carolingiennes adoptent des codes chromatiques précis (Évangéliaire de Godescalc, c. 781).
IXe siècle : La Renaissance carolingienne encourage la diffusion des théories antiques sur la couleur ; le bleu et l’or deviennent privilégiés dans l’art sacré.
Xe siècle : Apparition des premiers vitraux médiévaux, avec un usage limité de la couleur.
Moyen Âge central (XIe-XIIIe siècles) : Codification et essor des couleurs
XIe siècle : L’architecture romane favorise l’usage des fresques polychromes dans les églises.
1125 : Théophile Presbyter rédige De diversis artibus, décrivant la fabrication des pigments et leur usage en enluminure et peinture murale.
1140-1150 : Abbaye de Saint-Denis sous Suger : premiers vitraux gothiques intégrant le rouge et le bleu cobalt.
1194-1195 : Innocent III rédige De Sacro Altaris Mysterio, fixant les couleurs liturgiques (blanc, rouge, noir, vert).
XIIIe siècle :
Vincent de Beauvais, dans Speculum Naturale, systématise la symbolique des couleurs en lien avec les sciences naturelles et la théologie.
Thomas d’Aquin reprend Aristote et éclaire la relation entre lumière et couleur dans une perspective chrétienne.
Développement des vitraux narratifs à Chartres et Reims ; le "bleu de Chartres" devient emblématique de l’art gothique.
Bas Moyen Âge (XIVe-XVe siècles) : Diversification et enrichissement de la palette
XIVe siècle :
Apparition d’une plus grande diversité de pigments grâce aux échanges commerciaux (outremer d’Afghanistan, cochenille pour le rouge).
Guillaume de Machaut utilise le terme "sinople" pour désigner le vert en héraldique, marquant un glissement sémantique.
Développement des tapisseries gothiques aux couleurs vives (Tapisserie de l’Apocalypse d’Angers, Dame à la Licorne).
1372 : Jean Corbechon traduit De Proprietatibus Rerum, influençant la perception des couleurs en français médiéval.
1380-1400 : Jan van Eyck et les Primitifs flamands développent l’usage des glacis pour intensifier les couleurs en peinture.
1431 : Jean Le Bègue rédige un manuscrit sur les recettes de pigments et leur stabilité.
1437 : Cennino Cennini rédige Il Libro dell’Arte, décrivant l’usage des pigments et la préparation des couleurs en peinture.
1439-1441 : Jan van Eyck perfectionne la peinture à l’huile, révolutionnant l’usage des couleurs par la transparence et la profondeur.
1470-1480 : Le Blason des couleurs de Sicile hiérarchise les couleurs en héraldique.
Renaissance et héritage médiéval (XVIe siècle et au-delà)
XVIe siècle :
Léonard de Vinci théorise la lumière et la couleur, remettant en question certaines interprétations symboliques médiévales.
La Réforme protestante limite l’usage des couleurs dans l’art religieux, tandis que la Contre-Réforme catholique promeut une iconographie riche et colorée.
1540 : Giovanni Ventura Rosetti publie Plichto, premier manuel imprimé décrivant les techniques avancées de teinture.
XIXe siècle :
Redécouverte des pigments médiévaux et restauration des vitraux gothiques sous l’influence des mouvements néo-gothiques.
XXe siècle :
Michel Pastoureau mène des études approfondies sur la symbolique des couleurs médiévales.
La restauration et la préservation des vitraux et fresques médiévales contribuent à transmettre les codes chromatiques du Moyen Âge à nos jours.
Conclusion
L’évolution de la symbolique des couleurs dans l’art médiéval est marquée par une continuité entre héritage antique, interprétations religieuses et innovations techniques. De la codification stricte dans les enluminures aux jeux de lumière dans les vitraux gothiques, chaque siècle enrichit ce langage visuel, dont l’impact demeure visible dans l’art et l’esthétique contemporaine.
Chiffres marquants de la symbolique des couleurs dans l’art médiéval
L’étude des couleurs au Moyen Âge repose sur des données historiques, matérielles et artistiques mesurables. Voici les chiffres les plus significatifs liés aux usages et aux significations des couleurs dans l’art médiéval.
Pigments et coûts des couleurs
6 fois plus cher que l’or : Le lapis-lazuli, pigment bleu importé d’Afghanistan, était l’un des plus coûteux du Moyen Âge, réservé aux œuvres religieuses et aux commandes princières.
2 à 10 fois plus cher : Comparaison du prix du bleu outremer par rapport aux autres pigments disponibles, limitant son usage.
1 kg de cinabre (rouge vermillon) coûtait près d’un mois de salaire pour un artisan peintre au XVe siècle.
3 grammes : Quantité moyenne de lapis-lazuli nécessaire pour réaliser une seule lettrine enluminée en bleu profond.
30 % du budget d’un manuscrit de luxe était consacré aux pigments les plus précieux.
10 jours : Temps moyen nécessaire à la fabrication d’un rouge vermillon pur en laboratoire alchimique médiéval.
5 à 10 ans : Temps nécessaire pour accumuler assez de cochenilles pour produire un rouge carmin de qualité pour la teinture des tissus nobles.

Utilisation des couleurs dans les vitraux et les enluminures
80 % des vitraux gothiques utilisent principalement le bleu et le rouge, en référence à la Vierge Marie et au sacrifice du Christ.
176 panneaux de vitraux à dominante bleue sont conservés dans la cathédrale de Chartres.
1 200 °C : Température nécessaire pour fusionner les pigments dans la fabrication des vitraux médiévaux.
12 à 18 mois : Temps de production des vitraux d’une grande rosace gothique.
90 % des tapisseries médiévales conservées présentent des rouges et des bleus mieux préservés que les jaunes et les verts.

Les couleurs et leur impact social et religieux
4 couleurs principales définies par les théologiens médiévaux :
Bleu (divin)
Rouge (passion et pouvoir)
Blanc (pureté)
Noir (humilité et mort).
XIIIe siècle : Distinction entre couleurs nobles (bleu, pourpre, or) et couleurs péjoratives (jaune pour Judas, vert pour les hérétiques).
1261 : Année où le pape Urbain IV officialise l’usage du blanc dans la liturgie pontificale.
14e siècle : Apparition du vert pour représenter les créatures démoniaques.
2 couleurs interdites dans les ornements liturgiques jusqu’au XVIe siècle : le bleu (trop précieux) et le jaune (associé à la trahison).
Évolution et perception des couleurs dans la société médiévale
2000 ans : Transmission des théories antiques sur la couleur, d’Aristote à Thomas d’Aquin.
3 classifications médiévales des couleurs :
Couleurs de la lumière et du sacré (or, bleu, blanc)
Couleurs du pouvoir et du sacrifice (rouge, pourpre)
Couleurs ambivalentes ou négatives (vert, jaune, noir).
50 ans : Temps estimé pour que le bleu remplace progressivement le rouge comme couleur royale en France (1180-1270).
100 à 200 ans : Période durant laquelle le noir évolue d’une teinte marginale à un symbole de distinction sociale.
10 à 15 % : Augmentation des échanges de pigments entre Orient et Occident grâce aux Médicis.

Techniques et conservation des couleurs
20 à 30 couches : Nombre moyen d’applications d’un glacis dans les peintures flamandes du XVe siècle.
1 à 2 heures : Temps de fixation de la tempera à l’œuf sur un parchemin enluminé.
Entre 100 et 200 ans : Durée moyenne avant que certains pigments verts à base de cuivre ne virent au brun ou au noir.
15 à 20 % : Taux de décoloration des pigments naturels dans les fresques médiévales.
50 à 80 % des peintures médiévales exposées ont perdu leur coloration d’origine en raison des altérations chimiques.

Héraldique et codification des couleurs
6 couleurs fondamentales en héraldique :
Or (jaune), argent (blanc), gueules (rouge), azur (bleu), sinople (vert), sable (noir).
75 % des blasons royaux incluent du bleu ou du rouge comme couleur dominante.
XIVe siècle : Remplacement progressif du mot "vert" par "sinople" dans l’héraldique.

Traités et écrits sur la couleur
1435 : Publication de De Pictura de Leon Battista Alberti, première codification scientifique des couleurs.
1584 : Trattato dell’arte della pittura de Gian Paolo Lomazzo, synthèse des théories médiévales et renaissantes sur la couleur.